Cosma notes, ou la musique des sphères

Mes Mémoires. Une autobiographie de cinq cents pages, a priori, cela peut sembler un peu épais, mais cette épaisseur est parfaitement justifiée quand on sait que Vladimir Cosma a composé des centaines de musiques de films. À peine un peu moins qu’Ennio Morricone.

Le maestro Morricone apparaît d’ailleurs aux côtés de Cosma sur l’une des photos du cahier central. Toutefois, la parenté entre les deux hommes s’arrête pratiquement là. Certes, tous les deux sont venus au cinéma un peu par hasard — Cosma n’a pas voulu prendre un pseudonyme quand on lui a signalé qu’il risquait d’être confondu avec Kosma (Joseph) : il n’avait pas la moindre intention de travailler pour le cinéma ! —, mais il existe entre les deux une différence de taille : même pour des oreilles de profane, un morceau de Morricone se reconnaît au bout de deux minutes ; le style de Cosma est loin d’être aussi reconnaissable, et si beaucoup de gens connaissent par cœur la musique des Aventures de Rabbi Jacob, de Diva, de La Boum ou du Grand Blond avec une chaussure noire, tout aussi nombreux sont ceux qui ignorent qu’il faudrait ajouter à ces « titres phares » par exemple Le Bal d’Ettore Scola, ou encore un certain nombre de films très obscurs de Jean-Pierre Mocky.

C’est qu’il n’y a peut-être pas à proprement parler de « style Cosma ». Si l’on en croit le témoignage de certains réalisateurs italiens, Morricone s’endormait régulièrement au milieu des films qu’on lui projetait pour qu’il les illustre musicalement. Il était donc condamné à faire du Morricone… Cosma, d’une certaine manière, a fait pire, puisqu’il a écrit la musique de plusieurs films de Mocky qu’il n’a jamais vus – une rencontre autour d’un café suffisait pour définir le genre « d’ambiance » qu’on attendait de lui —, mais cela reste l’exception. De manière générale, la méthode Cosma consiste tout au contraire à aller chercher son inspiration sur le plateau, à rencontrer les acteurs, à visiter les extérieurs qui serviront de décor au film. C’est en se promenant en Provence qu’il a trouvé l’idée de remplacer les percussions par des cigales pour la musique de La Gloire de mon père d’Yves Robert. Bref, ce musicien est aussi un homme de terrain.

Qu’on n’aille pas croire cependant que l’inspiration de Cosma est chaque fois déterminée par le sujet du film. Sous ses allures bonhommes, le compositeur — et c’est sans doute l’une des raisons qui faisaient qu’il s’entendait si bien avec le ludion Mocky — s’est souvent livré à des compositions qui étaient plutôt des décompositions. Lorsqu’on lui propose d’écrire la musique du Grand Blond, ce faux film d’espionnage, on attend de lui quelque chose qui, avec certes une pincée de sel parodique, s’apparenterait étroitement aux morceaux débordants de violons, de cuivres et de suspense composés par John Barry pour les « Bond ». Que nenni ! D’une manière totalement inattendue, il décide de tout centrer autour d’une flûte de Pan roumaine et s’en va chercher Gheorghe Zamfir pour interpréter ce qui sera le thème du film.

Il y a donc dans ces mémoires, intitulés Mes Mémoires — titre quasi pléonastique, mais qui est comme une proclamation d’insoumission —, assez peu de réflexions techniques et théoriques sur la composition musicale, mais ces cinq cents pages ne sont pas loin de constituer une histoire du cinéma, surtout français, et de son fonctionnement depuis, en gros, les années soixante. On verra Yves Robert devenir fou de rage quand on lui apprend que, pour de sinistres questions de droits, il ne peut pas reprendre pour Le Retour du Grand Blond les thèmes musicaux du Grand Blond. On verra pourquoi il faut courir jusqu’à Londres en août pour enregistrer la musique de Diva (attendue impérativement pour septembre), puisqu’à Paris tout le monde est en vacances. On verra De Funès répéter pieusement, jour après jour, sa danse du Rabbi. On croisera aussi Michel Legrand : Cosma fut longtemps son assistant, mais refusa, malgré toute l’admiration qu’il lui portait, de le suivre aux États-Unis, ce qui l’amena à devenir un compositeur à part entière.

Face à une carrière aussi longue — plus de soixante ans —, on est conduit à poser la question du temps. Y a-t-il un secret pour écrire une musique de film qui ne vieillisse pas et qui éventuellement se détache du film pour lequel elle a été écrite ? « Celle de L’Animal de Claude Zidi a sans doute vieilli, parce j’ai essayé d’être à la mode. Et la mode, c’était alors la rythmique disco. Et c’était, comme on dit, une autre époque. En revanche, si la musique de La Boum ou celle de Rabbi Jacob ne sont pas démodées — elles sont aujourd’hui encore régulièrement reprises dans des spots publicitaires —, c’est parce que j’avais pris soin de m’en tenir à une orchestration et à une rythmique très classiques. Je ne m’étais pas laissé emporter par l’air du temps. »

Car, s’il existe bien en musique un mode majeur et un mode mineur, la mode, là aussi, et comme disait Cocteau, c’est ce qui se démode.

FAL

Vladimir Cosma, Mes Mémoires – Du Rêve à Reality, Plon, octobre 2022, 24,90 euros

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