Salazar, l’homme qu’on attendait pas

Auteur de Salazarisme et fascisme (Chandeigne, 2020), d’une histoire de la nation portugaise (Tallandier, 2022) et de Sous les œillets la révolution (Chandeigne, 2023), Yves Léonard continue son exploration de l’histoire contemporaine du Portugal en publiant une biographie de l’homme qui dirigea le pays de 1932 à 1968, Salazar.

Un dictateur inattendu

De fait, la figure de Salazar détonne parmi ces dictateurs parvenus au pouvoir en Europe durant l’entre-deux guerre. Il n’est ni un chef de parti, ni un leader charismatique, ni un soldat. Salazar est un universitaire, un professeur, un intellectuel dans un pays majoritairement analphabète. Très marqué par l’idéologie maurassienne, francophone et francophile, il s’impose petit à petit parmi les militaires qui ont pris le pouvoir, d’abord aux finances puis à la présidence du conseil. Salazar impose ce qu’on a appelé l’Estado novo, une dictature soutenue par l’armée et l’église, de nature conservatrice tout en ayant quelques attirances fugaces pour le fascisme. Et bien sûr la police politique veille, réprimant et torturant les opposants.

Une navigation à vue

Quel étaient les buts de Salazar ? Durer. Il a visé une sorte de stase politique, maintenant la population portugaise dans ses traditions et sa pauvreté. Il réussit à rester fidèle à l’alliance anglaise tout en se maintenant à l’écart du conflit mondial qui permet à l’économie portugaise une certaine prospérité. S’il finit par permettre l’installation des américains aux Açores, il vend du Tungstène aux nazis jusqu’en 1944. Lisbonne devient un repère d’espions et aussi la destination rêvée de milliers de réfugiés. Au passage, Salazar, sans être antisémite, ne montra aucune mansuétude envers eux et punit sévèrement le consul Sousa Mendes qui, lui, accorda durant la débâcle française moult visas…

Résister au changement

Après la guerre, Salazar arrime le Portugal à l’Occident au nom de la lutte contre le communisme et maintient son cap. Mais les temps changent, la décolonisation s’accélère, ce que refuse Salazar : il engage son pays dans des guerres coloniales en Angola et au Mozambique, refusant de donner l’indépendance aux colonies portugaises comme le demandent les américains. Mais il vieillit, est écarté du pouvoir en 1968 après un AVC et meurt en 1970, quatre ans avant la révolution des œillets qui signe la fin de l’Estado novo. Salazar laisse cependant un héritage et aussi un exemple pour certains partis d’extrême-droite actuels. En tout cas, voici une excellente biographie sur un personnage tombé dans l’oubli en France.

Sylvain Bonnet

Yves Léonard, Salazar, Perrin, avril 2024, 528 pages, 27 euros

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