David Hennebelle, celui qui marche d’un cœur parfait

A l’occasion de la parution de son très beau Je marcherai d’un cœur parfait, nous avons rencontré David Hennebelle et l’avons soumis à quelques questions qui portent sur son récit mais plus globalement sur son écriture. C’est en effet un de nos contemporains qui s’attache a l’épure, au silence, et s’inscrit avec deux romans parus chez autrement dans la construction d’une œuvre forte. Et qui, nous en sommes sûr, comptera.

Entretien

Vous passez d’un premier roman sur la réclusion volontaire de Jacques Brel à ce roman sur les moines de Tibhirine, reclus volontaires. Cette expérience commune forme-t-elle une part de ce que vous êtes ?

On parlera de réclusion volontaire si l’on adopte un point de vue extérieur. Dans les deux cas, l’isolement n’est qu’apparent, il est un moyen de se relier aux autres, d’une manière particulièrement profonde et sincère. La recherche de l’idéal, de l’absolu, la quête des paradis perdus, la très grande solitude de l’homme face à lui-même et aux autres, l’infiniment petit et l’infiniment grand de l’existence humaine, la contemplation des paysages et, de manière plus diffuse, une réflexion sur le temps et l’éternité constituent mes thèmes de prédilection. La recherche d’une certaine solitude contemplative, d’un art, d’une littérature, regardés comme un horizon d’absolu, forment très certainement une part essentielle de ce que je suis.     

Votre écriture est marquée par l’ellipse ainsi qu’une certaine lenteur poétique. Comment travaillez-vous ?

Le style pour moi est primordial. Je me vois toujours écrire sur une ligne de crête très étroite. L’idéal, c’est une écriture brève jusqu’à l’épure, poétique, une forme de dépouillement. Cela conduit à un travail acharné sur la phrase. Cette question du style peut vite tourner à l’obsession car il n’y a jamais d’abandon et dans le même temps, cela ne doit jamais se ressentir. C’est une lutte, douloureuse parfois. Je retranche sans cesse, écris vraiment très lentement, laborieusement. J’ai peur du remplissage. La courbe des phrases, le rythme du récit, c’est quelque chose de très musical pour moi. Dans un morceau musical, il y a des thèmes exposés nus – c’est la phrase simple, directe, immédiate qui doit s’imposer comme une évidence – puis des développements qui vous envolent, qui ont quelque chose de cosmique. Et puis des silences, parce que la musique sans silence… C’est exactement cela que je recherche. 

Quels sont vos auteurs de chevet ? Et comment vous inspirent-ils ?

En premier lieu, je citerai peut-être des cinéastes comme Tarkovski ou Malick. Le cinéma de Malick me semble incarner une forme d’osmose parfaite entre le fond et la forme pour traiter de l’absolu. Pour revenir à la littérature, il est certainement plus facile d’évoquer ses admirations que d’expliquer ce qu’elles apportent à votre propre écriture. J’ai une grande vénération pour les deux Marguerite : Yourcenar et Duras, deux immenses stylistes. Je crois cependant être plus influencé par des écrivains comme Quignard, Michon, Baricco, De Luca…. des écrivains de la concision qui voient les vies non comme des fils continus, mais comme une succession de fragments, de moments saillants entourés de silences. 

Les personnages de vos romans vivent des « aventures » très intellectualisées. Est-ce ainsi que vous appréhendez le monde ? 

Je n’y avais pas pensé, mais il est vrai que Brel dans Mourir n’est pas de mise et les moines de Tibhirine dans Je marcherai d’un cœur parfait s’interrogent en permanence sur le sens de l’existence et la nécessité vitale de se dépasser. Cela ne les empêche pas pourtant d’être pleinement présent dans le concret. Frère Christian me semble particulièrement représentatif de cet état d’esprit : c’est un brillant théologien qui écrit énormément, fait des interventions remarquées devant les assemblées générales de son ordre, mais qui se combat lui-même pour ne pas écraser ses frères et mettre en œuvre de façon très pratique la proximité qu’il voit entre christianisme et islam.    

Il y a quand même toujours une situation d’exote, comme le dit Segalen, chez vos personnages, et chez vous, donc. Atteindre cet absolu ne peut se faire que loin ?

Le voyage est toujours autant intérieur que géographique. Il est certain que pour moi, les lieux, les paysages dans lesquels évoluent mes personnages sont déterminants. C’est l’alchimie particulière entre des êtres, un lieu d’exception et une quête qui déclenchent mon rêve et mon besoin d’écrire. Il me semble que j’associe le lointain à l’impossibilité du retour.    

Les moines de Tibhirine étaient portés par un amour du prochain et une foi d’une rare pureté. Est-ce un sujet qui, personnellement, parle aussi de vous ? 

Je peux vous faire un aveu : je suis athée, mais un athée qui regrette de ne pas croire… Et c’est d’abord cela qui m’a fasciné : le cheminement chaotique, sans cesse remis en cause pour surmonter les divisions et les peurs vers l’autre et l’espérance suprême de rencontrer Dieu sans en avoir la certitude.     

Votre roman évoque, bien sûr, les faits politiques, c’est notamment par eux que le grand public a eu connaissance de cette communauté. Mais vous vous placez au-dessus de la rancoeur, comme si ce drame était inscrit dans un parcours naturel. Est-ce la raison pour laquelle vous avez commencé votre roman par l’établissement du lieu plutôt que par le crime ?

Le film splendide de Xavier Beauvois — Des hommes et des dieux — se situait dans le temps court, 1993-1996, dans la décennie noire de l’Algérie où la communauté est frappée par la menace islamiste. Je marcherai opte pour le temps long, depuis 1938 et la fondation du monastère. Cela conduit à ne pas surinvestir le crime. D’ailleurs, dans une première version, j’avais fait le choix de ne pas l’aborder. J’ose croire que mon roman ne regarde jamais les moines de Tibhirine comme des victimes.   

Pouvez-vous me donner trois bonnes raisons de ne pas lire votre livre ?

Les démonstrations par l’absurde m’ont toujours paru beaucoup plus difficiles ! Il est certain que si l’on recherche l’air du temps, les modes, les enjeux quotidiens et immédiats de notre époque, Je marcherai d’un cœur parfait en est très éloigné, encore que son sujet n’est pas étranger à notre actualité la plus brûlante… De la même manière, si la préférence va aux livres épais, aux rythmes endiablés, aux page turners, là encore on s’est trompé d’adresse. 

Votre prochain livre est-il en cours d’écriture ? Sera-t-il dans cette veine ? 

En cours d’écriture, non. L’écriture vient après une très longue phase de recherches documentaires, dès lors que mes vies rêvées sont d’abord bien réelles. Je ne renie pas ma formation d’historien… L’écriture ne peut intervenir que lorsque je maitrise suffisamment une grande masse d’informations sur le sujet. Je forme le projet d’écrire un seul grand cycle de douze romans, douze vies oniriques, toutes tendues par une soif d’absolu. En mathématiques, douze est l’un des deux nombres sublimes. Je ne sais pas si je pourrais aller au bout, si j’en aurais l’énergie, si le temps m’en sera laissé. A la fin, j’aurais peut être l’impression, naïve certainement, d’avoir livré un tout, une œuvre globale sur ce que l’être humain est capable de faire de plus noble. L’élégance du désespoir peu-être…

Propos recueillis par Loïc Di Stefano

Photo de David Hennebelle © Jean-Philippe Baltel

Laisser un commentaire