Diseur de mots : la bonne aventure par Christian Léourier !

Sortie du premier tome de la Lyre et le glaive de Christian Léourier aux Éditions Critic.

illustration Jean-Baptiste Hostache / Maquette Éric Marcelin

Espéré comme un bon cru à la saison des vendanges, un nouveau cycle Fantasy ou SF de Christian Léourier est attendu par nombre de lecteurs : Diseur de mots, ne décevra pas le taste-vin ès saga imaginaire !

D’abord par l’ampleur du roman. Rien moins que près de 400 pages, écrites serrées, typo petite, chasse faible et interlignage étroit. Mais c’est surtout l’ambition du propos qui sidère dès ce premier opus. Habitués, certes, nous l’étions à la qualité de la prose de M. Léourier, dans la forme courte entre autres (voir la dernière recension sur boojum.fr). Mais ici, ne boudons pas notre plaisir de constater qu’il renoue avec son meilleur. En effet, il est une référence qui revient en mémoire à l’amateur des genres imaginaires en lisant Diseur de mots. Le cycle de Lanmeur, grand’oeuvre Science-Fantasy égal d’un Jack Vance. La référence tutélaire de maître Léourier. Car il est un grand conteur, au coffre ampli de plus de trente romans et recueils. Adonc, impétrant lecteur, penchez-vous au-dessus de cette mirifique malle aux histoires, embarquez dans la geste…

Une Geste et des mots

Comme viatique, ou comme malédiction, Kelt possède un don qu’il ne maîtrise pas. Il dit la vérité. Ses mots impriment au destin un chemin toujours exact. Impermanent et, souvent, fatal. Et ce fatum, inauguré par la scène du pont fracassé à l’entrée de la citadelle de la grasse commanderie de Solkdrand, est comme un flot tempétueux. Il ravage, il emporte. Et comme une crue, il sidère et il fait peur surtout. Car il y a peu de différence dans l’esprit brumeux de certains entre sorcellerie et don, entre malheur et providence.

Donc, ancré dans un monde féodal aux nuances nordiques, tissé d’un patchwork de chefferies rivales, de châteaux disparates et, surtout, aux panthéons profus, Kelt doit survivre. Malgré tout. Malgré lui. En maudissant son don. En maîtrisant sa colère. En cachant la vérité sur son pouvoir grandissant mais inutile. La peur que ça lui inspire parfois. Car louvoyer, entre compromis et fuite, échapper comme il peut à la vengeance des puissants et à la vindicte des gueux, l’a rendu solitaire et aigri. Imposteur ou jeteur de sorts ?

Un sauvetage et une quête

Alors quand il doit, encore une fois, sauver sa peau après avoir été arrêté, pour avoir dit et prévu la débâcle d’un pont, il cède, lui aussi. Une ordalie de combat, convoquée en jugement de son crime, est ordonnée par le seigneur de la ville. Un spadassin, Hòggni, gagne le duel pour Kelt. Au déplaisir évident du maître de la cité, Skilf.

En un tournemain, le retors cheftain renverse alors le destin du duo. Une mission aux confins du pays. Où, rumeur croissante, un autre flot impétueux, une nouvelle crue semble surgir. Au risque de vomir ses flots fous sur les rives et les terres polythéistes des régions du Solskrand. On y décrit à mots tremblants, le règne d’un culte aveugle autour d’une divinité unique et terrible. Le Heldmark, barbare territoire, devient donc le point focal d’une quête. L’Axe divin qui régit ce monde est-il en péril ? La mission sans retour ?

Souffle et ambition, what else ?

Donc, autant le dire tout de go : mazette quel pied ! Inventivité des mots, créativité des décors, rapidité des aventures et des péripéties, richesse des récits et des sous-textes ! On se laisse happer sans coup férir ! Emporté par le flot de Diseur de mots ! Ce Dit de Kelt augure d’une saga qui sera, sans doute aucun, l’une des références de la Fantasy francophone. oui-da, on dénote un classicisme propre au genre Heroic Fantasy. Et les filiations avec le cycle des épées de Fritz Leiber et son duo culte, les récits de Robert E. Howard bien sûr et son Conan iconique sont inévitables.

Cependant, comme avec Gabriel Katz et son cycle d’Aeternia, ici Christian Léourier aborde frontalement un thème plus subtil et explosif que les quêtes manichéennes en diable de certaines Fantasy stéréotypées. La religion, LES religions comme corollaire à l’impermanence du monde. Comme refuge dangereux mais vain du changement, face à la tentative dérisoire des pouvoirs temporels ou spirituels à fixer les dogmes, à figer les hommes. Le mot (la lyre) et la force (le glaive) en totem bifide. Janus en embuscade en attendant le prophète providentiel ou les guerres propitiatoires !

C’est pourquoi, le tome 2 de la Lyre et le glaive, dont l’auteur parle dans son entretien en pied d’article, devra nous dévoiler l’autre versant de la trame du récit. Enfin explorer ce monde surgissant d’un monothéisme immarcessible et inévitable ?

Révérence et chapeau bas, Monsieur Léourier !

Marc-Olivier Amblard

Entretien réalisé par la Librairie Mollat

Christian Léourier, Le Diseur de mots, la Lyre et le glaive tome 1, Éditions Critic, mars 2019, 392 pages, 22 eur

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