Hugo Boris, du courage des autres au courage de soi

Ton rapport au cinéma

Ton éditrice et toi me confirmaient que les pourparlers étaient déjà en cours pour l’adaptation du courage des autres au cinéma. C’est bien le même producteur que pour Police ?

Le producteur de Police, Philippe Carcassone a été enthousiasmé très tôt par le projet du courage des autres. Il était au courant dès l’époque où mon roman Police était sorti et qu’on discutait de la première adaptation.
Il trouvait qu’il y avait un thème universel. En fait, c’est un livre très difficile à adapter, mais il est prêt à prendre une option et elle est quasiment actée.

C’est vrai que même si ton écriture est très cinégénique, adapter le courage les autres, qui est un vrai mille-feuille de textes et de portraits, ce n’est pas forcément le titre le plus évident dans ton œuvre. Entre documentaire et fiction.

Oui c’est ça justement qui les attire : faire un docu-fiction, une œuvre hybride.

C’est même passionnant à imaginer non ? Littéralement mettre en images. Comme des capsules avec des voix off. Comme celle du narrateur ou celles des témoins, des spectateurs des scènes. Introspection ou description in vivo etc…
Ton écriture a toujours été très visuelle, ça tombe bien !

J’avais déjà eu des options avant Police. Le baiser dans la nuque et aussi la délégation norvégienne. Mais le chemin est long entre le début d’un projet ciné et sa finalisation.

Mais maintenant avec ce film au casting si fort, tu as quand même une belle visibilité !

En effet, sûrement ! Ça encourage les producteurs à prendre plus de risques.

Comme avec le courage des autres justement. Il a confiance en toi et dans ta vision. Ce qui fascine dans ce livre et qui est particulièrement juste et émouvant : l’inexorable et le paradoxal.

Oui c’est ça, complètement ! C’est incroyablement rassurant d’être en accord sur le sens de son écriture, ses idées avec un futur adaptateur. C’est un luxe rare !

La genèse du récit

Je me suis posé la question de la chronologie de l’écriture de ton récit justement. D’où est partie l’idée du courage des autres. Le moment charnière du livre qui ouvre le récit ?  Est-ce vraiment l’incident vécu après l’obtention de ta première dan de ceinture noire de karaté qui a lancé le tout ? Ou est-ce plutôt autre chose qui a déclenché ton écriture ? Comme le fait de retrouver ton mille-feuilles de textes ? C’est en cousant les deux que cela t’a permis d’écrire ?

Tu as raison. Quand j’ai commencé à prendre des notes dans le métro, il y a plus de 15 ans, je ne savais pas que j’étais en train d’écrire un livre. Pas du tout. Car j’ai cette habitude de prendre des notes partout. C’est un réflexe. Il y avait une unité de lieu qui m’inspirait. Surtout, tu croises beaucoup des gens dans le métro. Il y a un effet de loupe, car il s’y passe toujours quelque chose pendant ces temps de translation. Le déclic, ça a été lorsque j’ai pioché dans cette pochette boursouflée de 15 ans de notes.

C’était comme un herbier oublié. Et là, j’étais comme happé.

Il y avait tant de choses que j’avais oublié qui me sont revenues en mémoire avec une force incroyable. C’était comme si j’étais face à un butin et que je me devais de le restituer. Je ne pouvais pas garder pour moi ces moments que j’avais vécu. Mais, surtout, ce filon je ne voulais pas en faire une simple collection d’anecdotes sur le métro.

J’aime bien quand tu parles de mille-feuilles. C’est un terme beaucoup plus fort et descriptif  qu’un herbier, l’opposé du catalogue impersonnel. L’image du mille-feuilles est tellement plus parlante. On comprend que tu es rentré dedans et que tu as dû mangé l’ensemble pour le comprendre toi-même.

Oui, exactement ! Il y a derrière une construction littéraire avec, comme point de départ, une réflexion sur le courage. Et cette construction, elle se traduit par des libertés prises par rapport au réel.
Par exemple, ce n’est pas un journal. Et donc oui, le livre ne respecte pas la chronologie.
Il y a comme des à-plats. Et comme dans un herbier, on a des classements, des thèmes qui se regroupent par familles de feuilles, de végétaux.

Dans le livre, il y a une partie sur la sidération, une sur l’admiration et enfin une sur l’affirmation.

Il y a une courbe si tu veux, un arc dramaturgique.
Effectivement, je n’ai pas commencé à écrire le courage des autres au lendemain de ma ceinture noire.

C’est aussi ce que j’ai ressenti. Tu te réappropries tes propres histoires pour les redistribuer. Tu es à la fois observateur et narrateur. Alternant des crises de réel et à d’autres moments des prises de distance.
C’est à peu près la progression du personnage. Au début, il se trouve à distance de lui-même, parce qu’il a peur d’affronter l’inéluctable violence. Puis il est confronté au hiatus inévitable. À un moment de bascule. Où il ne peut pas faire autrement, où ça devient de l’instinct. Et il comprend.
Le courage des autres ce n’est pas la lâcheté de soi. À certains moments, nous sommes capable d’agir à d’autres, nous n’y arrivons pas. Il faut un déclencheur qui fait que ça fonctionne.
Nous sommes plus ou moins fait pour l’action. Comme être pris par une habitude de passivité.
Où est la ligne rouge entre endormissement de la vigilance, voir du sens moral et cette transformation en être passif, en mouton de Panurge. C’est justement pour ça que ton livre touche l’intime et l’universel.

On est confronté tout le temps à ça. Je ne souhaite pas être enfermé dans une définition et tu l’as bien perçu. On peut être courageux un jour et lâche le lendemain. Jules Renard disait dans son journal :


on a des courages et non pas du courage.


Il y a toutes formes de courage, même pour le courage physique. Moi j’ai eu des comportements lâches, mais je ne crois pas que ça fasse de moi un lâche. J’ai eu des comportements courageux, mais je ne crois pas que ça fasse de moi quelqu’un de courageux. Les deux peuvent cohabiter.

Tes recherches

Je sais que tu te documentes beaucoup. Et tu as un sens du détail impressionniste, aigu. Je me rappelle même avoir reçu de toi une carte de Baïkonour et des pièces russes, des roubles écrasés, symbole de chance pour les cosmonautes de la cité des étoiles. C’était à l’époque où tu préparais je n’ai pas dansé depuis longtemps.  Ce roman magique sur un cosmonaute coincé dans la station Soyouz qui se désespère de retrouver la terre. Pareil pour Police et ton immersion dans des patrouilles et la vie quotidienne des commissariats de banlieues.

Mais pour celui-ci, je me suis demandé si, pour une fois, tu avais fonctionné différemment. Parce que la documentation, c’est la tienne. Ta vie même. TON mille-feuilles. Te sachant méticuleux, est-ce que tu as fait un vrai boulot d’enquête et de journalisme sur le métro,  son histoire par exemple ?

Tu me connais bien, mais cette fois moins que pour les autres. Mais on ne se refait pas, j’ai effectivement lu des livres sur le métro en général pour avoir le vocabulaire du métro, du ferroviaire.

On le ressent dans cette partie magique où tu décris le métro de Moscou.
Tu emploies le même vocabulaire que
la bête humaine en fait. Tu aurais pu même utiliser ce titre s’il n’avait pas déjà été pris par Zola (Rires).

En effet. Il y a eu un travail d’enquête aussi sur des détails comme effectivement le métro de Moscou, son côté muséal. Ou l’histoire du Colonel Fabien.
J’avais à cœur comme toujours d’utiliser le bon champ lexical pour pouvoir planter les scènes le plus justement possible.

Tu expliques ça comment ? Par ta formation, ton œil cinématographique ? Ou ton obsession de l’archivage, ta collectionnite type mille-feuilles ?
Une sorte d’obsession de coller absolument au réel, sans montrer justement que tu as beaucoup travaillé pour donner une impression la plus réaliste possible. Tu fais partie, sans aucun doute de ces écrivains qui travaillent énormément le sens du détail. Car tu es comme ça dans la vie non ?  C’est la Hugo touch ? (rires)

Tu as raison. Il y a chez moi un amour de la précision. Et en effet, j’archive beaucoup.
En fait, ma précision est aussi poétique. C’est presque maladif ou paradoxal parfois.
Surtout dans des domaines très différents de moi. Le mot “ballotin”, lié à un catalogue Jeff de Bruges, m’enthousiasme. Tu visualises une scène entière avec un simple mot ! Je suis un fan absolu du dictionnaire historique de la langue française par Alain Rey. Où on découvre que “boire les obstacles” est un terme d’équitation. Il poétise tellement la fluidité du duo homme cheval, lors d’un parcours d’obstacle, tel un centaure passant des épreuves !

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