Hugo Boris, du courage des autres au courage de soi

Ton fil rouge

Tu es l’un des rares à oser changer d’angle, voire de genres avec malgré tout des thèmes fil rouge. Est-ce que c’est le hasard qui oriente ton travail ? Et as-tu commencé beaucoup de textes sans les achever ?

En effet, ça m’est arrivé, c’est même assez douloureux quand tu dois laisser un texte en plan ; que tu attaques un sujet en y croyant et que, finalement, tu te trouves dans une impasse. J’ai des projets en toile de fond, dont je ne sais pas s’ils aboutiront. Clairement, le courage des autres c’était ça.

Tu laisses infuser et ça réapparaît quand c’est le moment, un peu comme le courage dans ton récit ?

Voilà, il y a des moments évidents et des instants suspendus.

Tu as une empathie certaine avec tes personnages, c’est une évidence pour moi, tant qu’ils sont littéraires. C’est presque un paradoxe, parce que tu le dis toi-même, tu es timide dans la vie. Comment tu vis avec cette réserve ?

Je suis hypersensible et parfois réservé en fait. Pas vraiment timide. J’aime les gens. Regarder les gens.

D’où ton fil rouge. Cette alternance entre l’homme solitaire introspectif, le huis-clos face à des espaces disproportionnés ou déshumanisés. Et même dans l’espace avec le cosmonaute qui tourne sans cesse autour de la terre.
En as-tu conscience ?

La lecture de ton article sur le courage des autres a attiré mon attention ce fil rouge dans mes livres. Par contre dans ma vie, j’en ai conscience depuis longtemps. Je suis plein de contradiction, j’aime être seul mais aussi avec des gens. J’ai besoin des deux.
Par exemple, mon habitude d’écriture est révélatrice de mon besoin de solitude. En juillet, j’ai mon appartement pour moi tout seul, car c’est la période pendant laquelle j’écris. C’est un rendez-vous avec moi-même que j’adore, je ne peux plus m’en passer même ! Quel bonheur ! Je vis comme un ascète.

J’aime les petits comités, les compagnons d’élection.

Je fuis les foules. Je ne suis pas du tout cocktail, ni pince fesses !

Finalement, tu en parles aussi dans le courage des autres. Cet art de l’entre-soi, où porter des masques est un concours permanent, dans le métro aussi. On repère à des kilomètres à la ronde le provincial en goguette ou le touriste naïf, non urbain de préférence. C’est celui qui parle avec son voisin, avec sourire et politesse. Sauf qu’au bout d’une semaine, cet individu là est formaté aussi. Baisse le nez sur son portable. Évite le regard des autres, sans leur adresser la parole.

Ce que tu évoques me fait penser au passage que j’ai préféré écrire dans le courage des autres. L’enfant de 3 ans qui pose un sourire et un regard francs sur ses voisins…

Ton rituel d’écrivain

Quand tu écris, dans ce rituel d’écriture de juillet, est-ce que ça t’arrive de connaître à l’avance l’issue de ce que tu écris ? Est-ce que tu doutes beaucoup ? Est-ce que tu scénarises ou est-ce que tu te laisses embarquer par tes personnages parce que tu ne sais pas du tout où tu vas ?

Non, je prépare beaucoup. Je construis le plus possible. J’écris même un synopsis. Je ne l’ai pas toujours fait, mais maintenant je m’y astreint, ça m’aide beaucoup. C’est très technique, mais c’est assez libre en fait.
Je le fais relire, parce qu’à un moment, son propre regard ne suffit plus.

Tu peux te perdre ?

Oui, ça m’arrive malgré un cadre, une cartographie. Je prends parfois des chemins de traverse. Je ne suis jamais vraiment perdu, mais quelquefois surpris.
C’est une exploration avec carte d’état-major. C’est un peu ça, un synopsis. Ça te rassure, tu as une idée de l’endroit où tu vas.

Tu as des rendez-vous avec toi-même, des moments dans le texte qui te rassurent.

Et entre ces rendez-vous, tu as de la liberté. Jusqu’à t’autoriser l’improvisation. C’est comme au cinéma : le cadre et le storyboard sont nécessaires. C’est parce que tu as storyboardé, que tu as la liberté d’improviser ensuite.

Tu as un travail de réécriture important alors ?

Énorme.  50 à 60 versions pour un projet comme le courage des autres, à l’équilibre très précaire. C’est un équilibre entre des scènes dures, tempérées par des scènes plus légères. Avec le fil rouge pour lier.

Tes inspirations

Dans tes univers fictionnels, dont le cinéma, le documentaire et la littérature, as-tu des œuvres ou des auteurs référents ? La non-fiction par exemple, Joan Didion, Truman Capote ou Emmanuel Carrère en France ? On ne peut pas ranger le courage des autres dans une catégorie, surtout pas l’autofiction ! Est-ce que c’est le réel, le visuel qui alimentent ton œil et ta plume ?

michel Tournier Journal Extime

Ce qui me vient à l’esprit pour le courage des autres, c’est le journal extime de Michel Tournier.
On peut parler de soi en regardant le monde. J’ai beaucoup aimé ce journal de Michel Tournier, parce qu’il ne respecte pas la chronologie. Il arrive à parler d’une collection de choses qui l’interpellent : graves, drôles, variées. Et en même temps, il nous parle de lui, à chaque page. En creux. Sans nous parler de lui bien entendu. Par le regard, par le choix de ses arrêts.

Dans le courage des autres, c’est pareil.

Je ne décris pas le monde tel qu’il est, je décris mon regard sur le monde.

Jusqu’au moment où tu as ton acmé libératoire ! On ressent ce va et vient dans le courage des autres avec force en effet. Ce particularisme, cette appréciation de toi  dans le monde réel et du réel dans toi.

Un projet

Côté projet, dans tes rêves, tu caressais d’être de l’autre côté de la caméra depuis tes premières expériences d’assistanat en réalisation. Maintenant que tu as mis le pied dans le cinéma, je n’imagine pas que tu n’es pas envie de faire un film. Est-ce que, comme dans le courage des autres, ton nouveau courage ne va pas te donner un élan,  une envie puissante de réaliser ?

Hugo Boris Police Anne Fontaine

Si ! Mais ce serait plus vers le documentaire, je pense. Car la littérature me pompe complètement et que je pense bien plus en terme de mots, que de cadre ou découpage.
Sur le tournage de Police, où je suis allé trois fois, je me suis rendu compte de l’énorme travail préparatoire et de la patience qu’il faut pour tourner un film. Une scène de trois lignes dans le livre a pris une après midi. Cette machine si lourde et sa responsabilité m’ont conforté que je n’ai pas de compétences si évidentes pour y être légitime.

Heureusement, il y a plein de mondes qui aiment porter ces univers.

On revient toujours à l’individu solitaire perdu dans un barnum !

Ton conseil

Justement pour nos lecteurs boojumiens, quelle est ta dernière émotion esthétique, littéraire, artistique ? Proche ou loin de toi, finalement peu importe, mais qui t’a touché ?

Yannick Haenel

Je me connais, je vais être furieux contre moi en oubliant une référence évidente. Ah mais si ! Un livre auquel je repense beaucoup ces temps-ci : Tiens ferme ta couronne de Yannick Haenel.
Un livre sorti il y a quelques années qui raconte les tribulations d’un scénariste qui n’arrive pas à percer. C’est le livre d’un cinéphile, très loin d’une narration classique. Sans rebondissements. Un livre de sensations où on se sent bien. J’aimerai être capable de tendre vers un lâcher prise de cette sorte. Même s’il n’est peut-être qu’apparent. Mais il a réussi à créer une atmosphère, un peu foutraque, avec une narration décousue, dans laquelle le lecteur est invité à se détendre, à se faire une place.

Une ambiance qui ne recherche qu’elle-même. L’atmosphère est son propre but et l’intrigue est au second plan.
Je me demande si un jour j’oserai aller vers ce type de narration.

Un univers proustien en quelque sorte. Une ambiance, un univers mental décousu. On croit devoir tout construire de façon contrainte pour que ce soit lisible, mais en fait, même cognitivement, on ne fonctionne pas comme ça. À part le théâtre contemporain, avec le théâtre de l’absurde peu d’auteurs ont essayé cette vision là.

Mais oui, c’est ça ! C’est tout, sauf absurde ! C’est surtout casse-gueule. à explorer.

Merci Hugo, cette conversation était un vrai plaisir !

Merci beaucoup, c’était un bonheur de discuter avec toi, c’était un vrai échange, de ceux qui m’éclaire . 

Marc-Olivier AMBLARD

Hugo BORIS, Le Courage des autres, Édition Grasset, janvier 2018.

Police, Réalisation Anne Fontaine, Adaptation Anne Barré et Anne Fontaine, avec Omar Sy, Virginie Efira, Grégory Gadebois, Payman Maadi.

*à la date de l’entretien, le 7 mars, la sortie du film était prévue le 1er avril.

**la réédition de la nouvelle version chez Pocket a été repoussée comme toutes les nouveautés de la plupart des éditeurs.




















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