La Fabrication des chiens 1899, dix ans après l’aventure continue

Le premier tome de La Fabrication des chiens portait la date de 1889 ; voici le second, avec toujours le même titre, La Fabrication des chiens, mais avec la date de 1899, c’est-à-dire dix ans plus tard. Ainsi Agnès Michaux poursuit-elle avec une apparente facilité sa chronique d’une France de la toute fin du XIXe siècle, et d’un Paris en pleine effervescence, qui commente à l’envi le procès de Dreyfus à Rennes, qui prépare l’Exposition Universelle de 1900, et qui se passionne pour le Fort Chabrol, le vrai, celui qui dura trois semaines, au grand dam du préfet de police….

le portraitiste mondain et son chien

Le récit d’Agnès Michaux s’articule, à nouveau, autour de la personnalité d’un sympathique photographe, Louis Daumale, portraitiste mondain et collaborateur du Figaro, dont le chien Mégot tient auprès de lui un rôle aussi important que Milou auprès de Tintin. Son kodak en bandoulière, Daumale rencontre les artistes, les écrivains, les musiciens de son époque, et ne se console pas de voir les chiens de son quartier — et beaucoup d’autres — disparaitre vers de sournoises officines, où l’on pratique la vivisection pour faire avancer la science….

Il croise ainsi, chemin faisant, Méliès à ses débuts, le fils Destouches qui aime beaucoup sa grand-mère Céline, le petit Marcel (déjà bien accroc aux médicaments), Ernest Chausson (qui meurt d’un accident de bicyclette), Maurice Pujo et son Action Française nageant dans une vague d’antisémitisme nauséabond (et considérant que « Le judaïsme n’est pas une religion, c’est un malheur…. »)

Les femmes aussi sont bien présentes, car Daumale est amoureux, comme il se doit, tout en se demandant « que deviendrait la Parisienne sans la perfidie et l’adultère ? », et observant avec ironie que « Madame poussait à fond sa de Dion, incapable de résister à la capiteuse tentation de faire du quarante à l’heure ! » Cette lucidité ne le quitte pas, lorsqu’au terme d’une description fellinienne des convives d’un restaurant tardif, il conclue que « Chez Maxim’s, le modern style agonisait si bien  qu’il finirait certainement pas y mourir ».

une vie culturelle intense

Tout cela n’empêche pas une vie culturelle intense, et tout naturellement, Louis Daumale rencontre Pierre Louys, Debussy, Manet, Paul Dukas, ou Romain Rolland. Ce qui nous vaut aussi un superbe portrait de Huysmans, qu’Agnès Michaux a brossé avec un talent d’orfèvre. La France, en ce temps-là, c’est aussi l’arrivée de l’électricité, du tennis, de la voiture ; ce sont les discussions aiguisées entre les adorateurs de la musique de Wagner, ceux qui s’entichent de la philosophie d’un certain « Nichte », et ceux qui trouvent que ces Allemands ne valent rien, car les souvenirs des batailles perdues sont bien vivants. 

Et les chiens, dans tout cela ? Eh bien, ils sont à la mode, comme raconté dans le premier tome, et il est du dernier bien d’un posséder un dans la bonne société. Tel Parisien élève ainsi un beau dogue allemand baptisé Bismarck, pour le plaisir raffiné de lui crier « Couché, Bismarck ! » Ah, Paris…. 

On pourrait reprocher au livre d’Agnès Michaux d’avoir cinquante pages de trop, et d’étaler à profusion des petites histoires sans intérêt. Souhaitons que le troisième tome soit un peu plus resserré ; il devrait nous raconter ce que deviennent Louis Daumale et son fidèle Mégot dix ans plus tard, en 1909 et en pleine belle époque. Affaire à suivre, donc. 

Didier Ters

Agnès Michaux, La Fabrication des chiens 1899, Belfond, 440 pages, février 2021, 20 euros

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