Laurent Obertone, l’auteur entré en résistance contre le vivre ensemble

Construisant une œuvre à contre-courant de l’idéologie actuelle du vivre-ensemble, Laurent Obertone est un pestiféré. Ceux qui règnent sur la pensée médiatique ne lui donnent pas la parole, malgré le nombre toujours plus impressionnant de ses lecteurs. Car c’est un opposant, non pas un « simple » romancier mais un homme qui oppose le réel le plus brut aux rêveries passionnées du monde libéré de l’Histoire. Car c’est le réel qui est violent, pas celui qui ne fait que le regarder et construire, avec une logique acérée, une dystopie. Bien sûr, il a ses propres hypothèses, mais elles sont proposées avec beaucoup de conviction ! A l’occasion de la parution du deuxième tome de Guérilla, Le Temps des Barbares, Laurent Obertone s’est livré !

Entretien

Whitesplaining, hétéro-binaires non fluides, intersexophobe,  Pourquoi il n’y a pas de lexique ? Un petit lecteur mâle blanc pourrait s’y perdre…

C’est le but ! « L’inclusion » est faite pour exclure. Chaque secte a son jargon impénétrable… Et encore, je modère à outrance la représentation de ce monde parallèle, sous perfusion idéologique, où tout n’est qu’offenses et indignation… Rattrapés par le chaos, ses adeptes sont les premiers condamnés. 

Toutes ces expressions existent-elles ? et de quoi sont-elles symptomatiques ?

Elles existent, bien sûr. Je pense qu’elles traduisent un déficit identitaire : comme la fierté à l’ancienne est interdite, le groupe progressiste ne peut que se bâtir en opposition à l’oppression présumée du mâle blanc dominant, inévitablement misogyne, homophobe, patriarcal, raciste, etc. C’est une manière de dominer moralement, en clamant sa soumission, en prétendant sa haine vertueuse… Sur le fond ça ne change rien : toute idéologie, pour hypocrite qu’elle soit, est suprémaciste.  

Le Temps des Barbares a-t-il été conçu en même temps que Le Jour où tout s’embrasa ou est-ce l’immense succès du premier qui t’a poussé à faire le deuxième ?

Cette suite n’était pas prévue… Mais la demande était très forte. J’ai fini par me poser les mêmes questions que me lecteurs : que se passe-t-il après, que deviennent les personnages… Et j’ai décidé d’y répondre. 

Qu’as-tu ressenti à replonger dans cet univers et à retrouver tes personnages ? 

C’était une expérience intéressante, de reprendre tous ces personnages là où ils en étaient, de les « revoir » aussitôt, avec leur tempérament et leurs illusions… Et de les plonger dans ce monde encore plus fou, pour voir comment ils allaient s’en sortir… Ou pas. 

Et y aura-t-il une suite ?

Cette fois elle est prévue ! Mais l’existence d’un tome 3 dépendra encore une fois de mes lecteurs, de l’intérêt qu’ils manifesteront pour le tome 2. 

La suite sur les pas de Vincent Gite ? 

Vincent Gite est un tueur solitaire, l’antagoniste central de la machine-État, qui semble indestructible, malgré toute la détermination du tueur. Son combat semble perdu d’avance, puisqu’aucun homme seul n’a jamais rien pu contre une telle machine. Mais ça ne l’empêche pas d’essayer… Il n’est pas impossible qu’un tel duel se prolonge, et incarne nos deux avenirs les plus extrêmes. L’hyper-sauvagerie contre l’hyper-domestication. 

Dans la chute de Paris, tu passe sous silence l’éventuelle « résistance » des communautés soudées. Notamment la communauté asiatique. Dans Soumission, qui est proche de tes hypothèses mais avec un traitement différent, Houllebecq en fait un des remparts à l’islamisme. 

J’ai évoqué cette communauté dans le premier volume, je reprends ici l’idée de camps autonomes, mais tout ça reste très fragile, à la merci des aléas. Dans un tel scénario, être prêt ne suffit pas, il faut de la chance. Et toute organisation autonome reste à la merci d’un éventuel retour aux affaires de l’État. 

Il y a plusieurs scènes fortement référentielles. Par exemple la violoncelliste du centre commercial qui fait penser à l’orchestre sur le Titanic. Beaucoup d’autres à trouver ?

Oui, il y en a, et je sais que certaines échapperont toujours à la sagacité de tel ou tel. Ce qui me permet d’une certaine manière de garder une part de contrôle sur le livre qui, une fois publié, ne m’appartient plus. Comme disait Rimbaud, j’ai seul la clef de cette parade sauvage… Et je laisse à chaque lecteur son interprétation.  

Parle un peu en prophète. A combien de temps sommes-nous de voir se réaliser ces épisodes qui forment ton diptyque ? Et à combien en sommes nous du très-bien-vivre-ensemble ?

Donner une date serait mentir… Le risque, économique, social, communautaire, terroriste, n’a jamais été aussi élevé. Je dirais que tout peut arriver, dès aujourd’hui. Et que ça ne risque pas de s’arranger année après année. Quant au très-bien-vivre-ensemble, je pense que Big Brother courra après ce rêve jusqu’à ce qu’il se réalise enfin pleinement, comme dans mon livre, lorsque cette société poussée au bout de sa décohésion s’effondrera, et que ses sociétaires seront subitement forcés à un « vivre ensemble » total, avec l’effondrement des barrières sociales, légales et morales, qui d’ordinaire en protègent les plus ardents promoteurs. C’est ce qu’on appelle une dystopie, le contraire de l’utopie. Et c’est précisément le thème de mon livre. 

Comment alterne l’écrire des essais et des romans ? qui nourrit les autres ?

Cette alternance essais / romans dépend un peu de l’oscillation de mes intérêts, de ma volonté de ne pas m’enfermer dans un genre, et aussi du fait que je pense avoir fait le tour, avec mes trois essais (1), des maux principaux de la société française. De plus, le roman est assez attrayant, s’ouvre à un public plus large, et permet de passer des informations de manière plus digeste. 

Et maintenant, quels sont tes projets ?

En premier lieu, il y a la promotion du livre présent. Mais je prends déjà quelques notes pour la suite… Il s’agit de donner au futur son ossature ! Et d’en préparer quelques autres, au cas où. 

Propos recueillis par Loïc Di Stefano

Remerciements chaleureux à Laura Magné qui a rendu cet entretien possible

(1) La France Big Brother, La France Interdite et La France orange mécanique. Tous les livres de Laurent Obertone sont publiés par les éditions RING.

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