Rosewater Insurrection de Tade Thompson : afrofuturisme 2
Joie, allégresse, Rosewater Insurrection le tome 2 du cycle de Tade Thomson vient de sortir ! Comme Nouveaux Millénaires Imaginaire, LA collection SF&F de Flammarion dirigée par Thibaud Eliroff, par sa marque poche et semi-poche J’ai Lu, nous l’avait promis au printemps.

La suite attendue de Rosewater par Tade Thompson, Insurrection confirme que la SF sera AUSSI africaine !
J’ai déjà longuement parlé de l’excellent premier opus, Rosewater. Inauguration brillante de la trilogie Armoise (wormwood en anglais). C’est pourquoi je ne m’attarderai pas sur le pitch et le background, vous laissant vous réapproprier ma première chronique. De plus, le dernier titre vient de paraître aux États-Unis chez Orbit, The Rosewater Redemption ! Un bonheur n’arrivant jamais seul, l’auteur vient de recevoir plusieurs prix littéraires !
D’abord, en Angleterre, Le prix Arthur C. Clarke 2019, catégorie roman pour le premier volume de la série Armoise/Rosewater justement. Pour rappel, ce prix anglais prestigieux a eu souvent pour récipiendaires des auteurs spécialisés ou/et mainstream. Fait remarquable en littérature dite de “genre” ! Dès le premier prix, le désormais célèbre La servante écarlate de la canadienne Margaret Atwood, le jury tournant donnait le LA de cette ouverture enviable.
Colson Withehead et Emily St John Mandel en 2017 et 2015, dans les attributions récentes et notables, confirment cette belle tendance ! Mais aussi des valeurs montantes de la SF hardscience chère à Clarke, publiée au Royaume-Uni dont Adrian Tchaikosky. Ce dernier fut chroniqué par l’ami Sylvain Bonnet récemment ici mais surtout là pour Dans la toile du temps, lauréat 2016.
Ensuite le prix étranger des Utopiales 2019, attribué lors de l’édition 2019 du festival à Nantes à la novella choc Les Meurtres de Molly Southbourne publiée dans l’épatante collection Une heure lumière au Bélial. Malheureusement sans l’auteur, empêché au dernier moment. Votre serviteur se faisait une joie de le rencontrer pour votre site préféré !
Bref, autant dire, impétrant lecteur, que je me pourléchais les babines en me plongeant dans icelle suite ! Alors, zou, plongez avec moi dans Rosewater Insurrection !

Rosewater 2 ou independance (not to)Day
En fait, Insurrection a un titre sibyllin. On devine à le lire que le futur de la ville de Rosewater, dans ce Nigeria du futur en 2067, construite autour d’un artefact exobiologique aux pouvoirs miraculeux (cf tome 1) va forcément être chaotique !
En effet, cette fois Tade Thompson nous plonge très vite et quasi-brutalement même, dans un maelstrom de rebondissements ! Ainsi nous retrouvons Karoo et Aminat, ce couple improbable tous deux membres des services secrets du S45, en prise avec une révolution et une invasion alien. Excusez du peu !
Certes, l’invasion alien est amorcée dès la fin du premier tome. Avec la prise de conscience par Karoo de la dangerosité sournoise des xénoformes. Ces molécules exobiologiques d’Armoise, le biodôme vivant, crashé ici depuis 2055. Surtout par la lente transformation qu’elles opèrent, de moins en moins lentement, dans le génome de l’humain. Dans le biotope de la zone même de la ville de Rosewater.
Mais, pire encore (si, si !), l’iconique et surprenant nouveau personnage de la saga, Jack Jacques, ci-devant maire de Rosewater, proclame soudainement l’indépendance du district ! Au grand dam des pontes de la capitale Lagos et, surtout, d’un étrange comité qui semble interagir avec lui et d’autres potentats infiltrés…
La renonciation à l’amour de la vérité peut être mise au nombre des calamités de la guerre.
Citation de Samuel Johnson reprise par Jack Jacques p 333
Messie humain contre champion Alien : who win ?
Donc, en plein chaos émergent, les forces en présence sont rebattues.
- Les mercenaires du maire vs les forces spéciales de l’armée nigériane.
- L’entité alien humanisée Anthony – surgeon messie d’Armoise vs Alyssa- l’arme plante incarnée dans une femme par les originiens/aliens.
- Éric l’écrivain devenu biographe du maire – historien de la guerre en cours vs Karoo et ses “zombies”, renégat du S45 – dernier empathe de la xénosphère.
- Aminat – agente spéciale et double par amour pour Karoo vs le S45 – bras armé mais de qui ?
Alors, c’est à un feu d’artifice de contre-pieds et de batailles homériques que se livrent les personnages de Tade Thompson. Et même si, sous couvert de scènes spectaculaires (la guerre aérienne entre les anges, sortes de plantes volantes et les artefacts organiques du dôme !), le magma paraît parfois sans queue ni tête, nous sommes captivés. En mode sidération même !
L’enjeu d’un grand remplacement en mode slow motion, abordé comme une simple étrangeté, presque subtile dans le premier tome, prend ici une ampleur inédite. Rien que le personnage d’Alyssa résume ce ressenti. Entre fascination de l’étrange et sidération du VRAIMENT différent. Elle incarne la part agressive de l’artefact alien. En envahissant la conscience d’une femme rendue amnésique et quasi-folle, elle agît comme un immarcescible chiendent !
Telles les Graines d’épouvantes premier titre du classique de Jack Finney. Mais si, vous voyez de quoi je parle ! Rappelez-vous ses nombreux avatars filmiques, plus ou moins cultes ! L’Invasion des pronateurs de sépultures alias body snatchers aka Invasion (1956, 1978, 1993 ou 2007 ! ).
Cette inhumanité née de coques végétales, clones dont la lente multiplication doit mener au remplacement de l’Homme ! Ainsi, Alyssa est l’arme qui doit contrecarrer Anthony le premier surgeon Alien. Traître à sa nature, qui semblerait être prêt à un compromis avec l’Humanité. Comme contaminé par sa part d’âme (?) humaine.
Évolution/RéVOLUTION/ dÉvolution
Tade Thompson, on le sait désormais, est le roi de l’étrangeté. Ce weird intraduisible (merci encore à l’excellent Henri-Luc Planchat ici), cher à Lovecraft et ses épigones, qui touche du doigt ce mélange d’effroi et de SF À LA FOIS ! Car avec ce tome 2, l’auteur nous amène sans coup férir dans une construction fictionnelle magistrale. De celle qui, quelque soit l’angle d’approche, offre toujours une lecture particulière cohérente sans dénaturer le métamonde de l’ensemble du corpus littéraire tricoté, maille après maille, par l’auteur.
Parfois, on regrette la part afro, réduite ici, mais si bien abordée dans la première tomaison (les mythes Yorubas entre autre) de son background afrofuturiste.On ne peut qu’applaudir à la virtuosité de la vraie mixité de son récit science-fictif. Imbriquer ensemble, sans avoir l’air d’y toucher les thèmes prégnants du monde qui vient grâce aux intuitions engendrées par les bouleversements du temps présent.
Sequel ou séquelles : plus dure sera la chute avec ROSEWATER INSURRECTION
Diffus, évidents, subtils ou pesants, nous lisons alors bien autre chose dans les sous-textes à l’œuvre dans Rosewater Insurrection. Une litanie de visions déguisées sous les apparences d’une spéculative fiction brillante habillée en roman d’action 3.0.
- Un monde bouleversé par une nature mutante, écho de notre climat moribond.
- Un intégration en échec dont l’avers est bien une désintégration patente de la concorde sociale et raciale.
- Un isolationnisme paranoïaque en mode Brexit d’un royaume désuni qui voit le cosmopolitisme démocratique hérité de l’Empire colonial mis à bas au profit de la théorie du grand remplacement.
Où il peut y avoir pire que l’étranger, que les castes et les couleurs. Il y aura un jour, même dans une Afrique future rêvée, forte et indivisible, un AUTRE incompris et donc dangereux.
La tâche d’Alyssa commence à peine, mais c’est le début de la fin.
p 412
Tade Thompson se rattache aussi, in fine, à l’école de la SF britannique catastrophiste, dont la figure tutélaire classique reste JG Ballard. La collapsologie plus la speculative fiction, en quelque sorte.
Une fable amère mais superbe sur l’alien/nation de l’Homme par autre chose de pire que lui : sa sombre évolution. Ou sa dévolution. S’adapter ou chuter, en mode Darwin, encore un anglais voyant. Car nous sommes tous des hybrides dans un monde mutant !
Révérence et chapeau bas M. Thompson ! Vivement le tome trois !
Marc-Olivier Amblard
Tade Thomson, Rosewater Insurrection, Armoise tome 2, J’ai Lu, « Nouveaux Millénaires », 412 pages, septembre 2019, 21 eur